[Analyse] Sociologisons un peu…

1 février 2010

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Désigner un être comme…, une logique sociétale originelle. 

 

Toutes les sociétés ont toujours cherché à constituer différentes classes d’être, en distinguant : les « humains » des « non humains », les « vrais hommes » des « sous hommes », les « hommes » des « barbares », etc. en attribuant des droits particuliers et des avantages aux premiers et en déconsidérant les seconds[1]. Les processus de définition sociale actuellement à l’œuvre au sujet des personnes suivent les mêmes logiques d’attribution de droits et les mêmes injonctions éthiques que les processus désignés ci-dessus.

 

Depuis que le terme « persona » en latin (traduction du grec prosõpon « masque, visage ») n’est plus utilisé pour désigner le masque de l’acteur ou par extension le rôle joué par ce dernier mais pour désigner un être bénéficiant d’un cadre juridique permettant de le défendre, l’attribution du terme « personne » revêt socialement un enjeu stratégique. Désigner un être en tant que « personne » c’est explicitement lui attribuer des droits (ou en rappeler l’existence) et refuser que quiconque s’oppose à ces derniers. Considérer un être en tant que « personne » renvoie de nos jours à souligner la nécessité d’adopter un comportement éthique vis-à-vis de celui-ci.

La définition des conditions suffisantes à l’attribution du statut de « personne » est donc un enjeu considérable et les acteurs rivalisent d’argumentation pour asseoir leur définition de cette entité sociale.

 

Désigner un être comme une « personne », des critères historiquement fluctuants :

 

Historiquement, ce qui a fait d’un être une « personne » a considérablement varié : l’histoire n’est donc d’aucun secours pour déterminer les caractéristiques nécessaires à tout être prétendant au statut de « personne » : de la conception relationnelle antique de la personne, reprise par le droit romain, à la conception plus théologique de la chrétienté (« qui possède une âme et descend d’Adam »), en passant par des conceptions évolutionnistes (« l’acquisition de » telle ou telle compétence) voire substantialistes, les critères et les modes d’attribution n’ont cessé d’évoluer dans le temps.

 

Mais si les critères ont changé, l’enjeu, lui, n’a cessé d’exister et l’on peut même supposer qu’il a pris une importance plus grande encore à partir du moment où le terme personne est passé dans l’artillerie des concepts juridiques.

 

La défense des êtres en tant que « personnes », un enjeu fort de notre modernité :

 

Ainsi, de nos jours, la mention du terme « personne » apparaît dans de nombreux milieux (services publics, entreprises privées, associations…) comme le symbole d’une réaction.

 

Elle souligne l’existence d’une prise de conscience de la part de certains acteurs sociaux. Ces acteurs constatent le peu de place laissée à la personne dans certaines organisations. Ils s’indignent contre :

– le processus de réduction de la personne à un seul de ses rôles (patient, adhérent de telle institution, consommateur, etc.)

–  l’incapacité à entendre la complexité des situations personnelles qui ne s’arrêtent jamais aux délimitations et frontières administratives, disciplinaires, etc.

–  la difficulté à comprendre les visions et représentations des personnes lorsqu’elles ne correspondent pas aux descriptions officielles des services, produits, situations… auxquelles elles sont confrontées

–  le fait de ne pas considérer certains êtres (humains voire, beaucoup plus rarement, non humains) comme des personnes à part entière

De nombreux universitaires (sociologues, historiens…) ont démontré que la prise en compte de la personne n’est pas une évidence, n’est pas un donné, un ça-va-de-soi, c’est une posture qui nécessite une pensée et un travail toujours renouvelé des acteurs de nos sociétés. Nombre de sociologues ont souligné que la modernité comporte un risque majeur d’oubli de la personne de part la multiplication des logiques bureaucratiques, scientistes, etc. Nous savons, en effet, que l’homme est capable de ne pas prendre en compte la personne, sa complexité et son humanité. Il l’a malheureusement démontré historiquement et ce à plusieurs reprises. C’est parce qu’ils sont conscients de la nécessité de ce travail[2], visant à ne pas perdre de vue la personne à l’intérieur des dispositifs, que certains acteurs portent des projets, participent à certaines activités visant à redonner la « priorité à la personne ».

 

[1] Rappelons-nous le tristement célèbre traité de Valladolid de 1550. Ce dernier fut rédigé après une controverse entre théologiens pour savoir si les amérindiens étaient des hommes reconnus par Dieu et s’ils avaient une âme. Il indiqua que les espagnoles ne pouvaient pas traiter les indiens d’Amérique comme des esclaves car ceux-ci étaient des hommes possédant une âme et suggéra d’utiliser comme esclaves les êtres issus des populations noires d’Afrique qui eux n’étaient pas des hommes et ne possédaient pas d’âme.

[2] Les exemples de notre histoire récente et, malheureusement, de notre actualité ne manquent pas qui pointent l’extrémité pouvant être atteinte lors d’une occultation totale la personne et du comportement éthique nécessaire à sa protection. De l’esclavage précolonial et colonial jusqu’à l’esclavage moderne, de la persistance, encore nos jours, de camps (goulags, camps de concentration…) maintenant des êtres humains emprisonnés dans la négation totale de tout ce qui fait d’eux des « personnes humaines » jusqu’au non respect de la convention de Genève de 1929 sur le traitement des prisonniers de guerre et des réglementations dérivées, les exemples de négation de la personne humaine sont légion.

 

Arnaud Vallin

Sociologue – DOMPLUS

Qu’est-ce que

Priorité
à la Personne

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