[Analyse] L’histoire de la petite Rachel, « fardeau excessif »

Comment un fait divers montre l’usage abusif des processus de chosification et de numérisation des êtres, au détriment de la notion de personne.

 

Elle s’appelle Rachel, elle a 7 ans et souffre d’une légère paralysie cérébrale. Cette petite fille, française résidant au Canada, est actuellement menacée d’expulsion. Non pas en raison de son handicap en tant que tel, mais en raison de d’une logique exclusivement comptable : le coût potentiel de ce handicap pour la collectivité canadienne qui héberge l’enfant.

 

Ci-dessous les liens vers deux articles de France-Soir, qui a révélé le sujet [Edit 10/03/16: liens retirés car plus valables]:

  • Rachel, atteinte de paralysie cérébrale, un « fardeau excessif » pour le Canada
  • Rachel expulsée du Canada – “Le respect de la personne piétiné par des questions financières, où va t-on ?”

Cette triste histoire au dénouement incertain nous montre une chose: l’être humain peut être perçu sous une multitude de dimensions : son corps physique, son activité ou sa fonction dans un ensemble plus large, etc.

 

La possibilité de le considérer sous le point de vue du seul corps physique sans faire appel à ses autres dimensions rend possible la transformation de l’être humain en chose, dans le discours mais aussi dans la façon dont ce dernier est factuellement traité.

Dit comme cela, la « chosification de l’humain » peut faire penser à un scénario de science fiction. Pourtant, le cas de Rachel rend ce processus de chosification tout à fait d’actualité.

 

Comment s’organise la lutte contre le processus de réduction

 

Mettons de côté, dans un premier temps tout au moins, l’indignation qu’une telle réduction peut provoquer en nous et posons-nous la question suivante : à quoi avons-nous à faire ici ?

 

Il s’agit bien d’un processus de réduction, réduction d’une réalité, (l’existence d’une personne en situation de handicap), à une seule de ses dimensions (ici financière), dimension traitée sous une logique bien précise : la logique gestionnaire d’un Etat (gestion des corps et des coûts de la collectivité nationale).

 

La réaction des porte-paroles de la famille de Rachel (notamment des journalistes) ne vise pas à remettre en cause la réalité de la dimension en partie financière de la situation de la jeune fille. Les parents eux-mêmes sont bien placés pour avoir pleinement conscience du fait que l’état de la jeune fille implique une certaine charge financière. Mais la réaction vise à critiquer la réduction de la présence de Rachel au Canada à cette seule dimension financière.

 

Les journalistes déconstruisent ainsi cette catégorisation en tant qu’« être dont le handicap est un coût potentiel pour l’Etat » et ré-ouvrent la prise en considération de Rachel en tant que « personne » à part entière, en retraçant certains éléments de sa vie de petite fille : « Une petite fille de 7 ans qui aime l’équitation, la natation, le vélo et qui joue du piano. Ses parents sont fiers de ses résultats scolaires »[2].

 

Cependant, les réactions des « défenseurs » de la petite Rachel mettent en lumière le fait qu’il est difficile de s’écarter totalement d’une problématisation (c’est-à-dire, de la façon dont un problème a été posé). En effet, certains internautes on parfois du mal à ne pas contester le jugement de l’Etat Canadien en restant, pour se faire, sous le même registre réduisant de nouveau Rachel à un coût financier : « De plus les Barlagne se sont engagés depuis le début à assurer financièrement la prise en charge de leur petite fille… »[2].

 

Le père de la petite lui-même revient parfois, malgré lui pourrait-on dire, au registre économique en termes de calcul des coûts et des gains pour une communauté : « Je fais vivre toute ma famille. Ma femme ne peut pas travailler mais elle est très impliquée dans la vie communautaire en donnant des cours de français aux nouveaux arrivants »[2], explique-t-il.

 

Les logiques qui conduisent à réduire les personnes à certaines dimensions s’avèrent donc particulièrement prégnantes puisque même leurs opposants ont du mal à s’en détacher.

 

La dimension éthique de la personne, source de notre indignation

 

Pour finir, revenons à la réaction d’indignation que nous avions volontairement laissée de côté. Indignation qui conduit Noël Baekerlandt (secrétaire général de la Fédération des Apajh) à expliquer : « Oui, je dirai même que je suis scandalisé ! Le respect de la personne piétiné par des questions financières, où va t-on ? »[3]

 

Notre indignation est intéressante car elle renvoie à la dernière composante de la « personne », sa dimension éthique. Prendre en compte un être en tant que « personne » nécessite inévitablement de veiller au respect de la singularité et de l’intégrité de celle-ci. Cela semble renvoyer à la morale chinoise telle que décrite dans l’œuvre du philosophe chinois du IVe siècle avant JC, Mencius. Morale que F. Jullien (1995) distingue de la morale occidentale[4]. La pitié est selon cette morale, une réaction à l’insupportable. A ce titre, elle est le symptôme du fait que chacun de nous serait impliqué dans les autres et inversement.

 

Par ailleurs, il faut noter que, contrairement aux scenarii les plus fréquents en science fiction, notre intention n’est nullement d’attribuer à ces processus de chosification une connotation systématiquement négative. Gardons à l’esprit, que ces processus, sont parfois utiles. Ils permettent, dans certaines circonstances, à l’homme de s’organiser et de se sécuriser. Ainsi, réduire les utilisateurs d’ascenseur à certaines de leurs caractéristiques physiques chiffrées (leur poids et leur nombre) rend possible la sécurisation de l’utilisation de cet équipement, se représenter les milliers d’hommes et de femmes qui circulent sur un tronçon routier ou ferré sous la forme d’un flux quantitatif permet d’organiser les conditions de possibilités de leur déplacement, etc.

 

Cependant, les « processus de chosification » et de « numérisation »[1] ont comme tout processus humain leur pendant négatif. Ils peuvent notamment conduire à la constitution de logiques pratiques pouvant être utilisées en dehors des cadres premiers de leur création ou pouvant être poussées à l’extrême. C’est le cas ici pour Rachel.

 

Conclusions

 

Ce fait divers journalistique met parfaitement en exergue l’importance des acteurs qui, ponctuellement, remettent en avant la notion de personne afin d’éviter la trop grande réduction de nos existences à des dimensions ainsi qu’à des logiques trop partielles pour ne pas être potentiellement dangereuses quant à l’intégrité de l’être humain[5].

 

Il pointe également quelques caractéristiques qui dessinent l’essence de ce qu’est socialement une personne :

  • Une capacité d’action liée à une relative autonomie
  • Un itinéraire social et biographique singulier qui inscrit simultanément l’être dans une histoire propre et dans une histoire sociale
  • Une commune humanité (caractéristiques propres à tout être humain) qui donne inévitablement une couleur fortement éthique aux regards, actions, réactions et attentes vis-à-vis de cet être

La personne est donc à la fois un être singulier et commun ou pourrait-on dire commun de part cette irréductible singularité qui nous est propre et que néanmoins nous partageons tous.

 

Arnaud Vallin

Sociologue – DOMPLUS

 


[1] Au sens premier du terme : transformer une réalité en succession de numéros. Processus qui, soit dit en passant, à permis la création de l’informatique (transformation de la réalité représentée en succession de 0 et de 1).

[2]Jacques Hennen, le mardi 9 février 2010 à 04:00 sur le Site de France Soir

[3] Propos recueillis par Marion Armengod, le mardi 9 février 2010 sur le Site de France Soir

[4] Julien F. (1995), Fonder la morale. Dialogue de Mencius avec un philosophe des lumières, Paris, Grasset

[5] Notons cependant la remarque suivante afin de nuancer ce propos. Lors d’un travail en cours avec le sociologue Alain Mergier, ce dernier a attiré notre attention sur le processus inverse (tout aussi potentiellement dangereux) à celui décrit dans cet article : le processus de la prise en compte en tant que personne d’individus dans des situations où leur statut/leur rôle devrait normalement leur permettre et les autoriser à mettre de côté et à préserver la dimension personnelle de leur être. Ceci, nous fait dire qu’il en est du processus de personnalisation comme des processus de réduction unidimensionnelle ou numérique : c’est le résultat de ce qu’ils produisent qu’il faut surveiller et juger et non leur existence en tant que telle Ces processus peuvent indubitablement avoir des apports négatifs comme des apports positifs.

 

La notion de personne contre l’usage abusif des processus de chosification et de numérisation des êtres

L’être (vivant ou inanimé) peut être perçu sous une multitude de dimensions : son corps physique, son activité ou sa fonction dans un ensemble plus large, sa dimension narrative voire symbolique c’est-à-dire la manière dont il s’inscrit dans le discours et les représentations humaines, etc.

En ce qui concerne l’être vivant particulier qu’est l’être humain, il en est de même. Ce dernier peut être perçu et considéré selon différents points de vue. La possibilité de le considérer sous le point de vue du seul corps physique sans faire appel à ses autres dimensions rend possible la transformation de l’être humain en chose, dans le discours mais aussi dans la façon dont ce dernier est factuellement traité.

Dit comme cela, la « chosification de l’humain » peut faire penser à un scénario de science fiction. Pourtant, notre propos concerne des processus de chosification tout à fait d’actualité et régulièrement à l’œuvre dans notre quotidien.

Par ailleurs, il faut noter que, contrairement aux scenarii les plus fréquents en science fiction, notre intention n’est nullement d’attribuer à ces processus de chosification une connotation systématiquement négative. Gardons à l’esprit, que ces processus, sont parfois utiles. Ils permettent, dans certaines circonstances, à l’homme de s’organiser et de se sécuriser. Ainsi, réduire les utilisateurs d’ascenseur à certaines de leurs caractéristiques physiques chiffrées (leur poids et leur nombre) rend possible la sécurisation de l’utilisation de cet équipement, se représenter les milliers d’hommes et de femmes qui circulent sur un tronçon routier ou ferré sous la forme d’un flux quantitatif permet d’organiser les conditions de possibilités de leur déplacement, etc.

Cependant, les « processus de chosification » et de « numérisation »[1] ont comme tout processus humain leur pendant négatif. Ils peuvent notamment conduire à la constitution de logiques pratiques pouvant être utilisées en dehors des cadres premiers de leur création ou pouvant être poussées à l’extrême.

Prenons comme exemple un fait divers relaté sur le Site Internet du journal France Soir.

Ci-dessous les liens vers deux des articles de France-Soir sur ce sujet :

 


[1] Au sens premier du terme : transformer une réalité en succession de numéros. Processus qui, soit dit en passant, à permis la création de l’informatique (transformation de la réalité représentée en succession de 0 et de 1).

Qu’est-ce que

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